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Soit dit en passant

Je me suis laissé dire que le jardin est très beau

17 Septembre 2016 , Rédigé par JCD


La distance peut s’avérer parfois considérable entre l’intention et son accomplissement, déclarait – ce sont là des on-dit non vérifiés mais il y en a bien d’autres – au soir de sa vie un Autrichien de naissance qui semblait s’abimer dans une amère déception alors qu’il avait tout pour réussir et une moustache assez originale. Être déçu est hélas le privilège de quiconque espère. Bien que nous n’ayons que fort peu de points communs Adolf et moi, j’ai dû moi aussi faire ce constat après m’être rendu à Aix-en-Provence afin d’y voir l’exposition consacrée au sublime Turner. L’Hôtel de Caumont Centre d’art ne devait pas manquer de prestige pour ceux-là qui y vécurent, en faire un Centre d’art me paraît relever d’une erreur de casting. Quant à y accueillir pour la présenter au public la «prestigieuse» exposition dédiée à William Turner il s’agit là d’une arnaque, tout simplement. Cent trente œuvres de l’artiste dont certaines n’avaient encore jamais été exposées en France, déclare le commissaire de l’exposition qui omet de s’interroger sur la raison. Le plus souvent mal éclairées et confinées dans des espaces exigus où s’entassent de trop nombreux visiteurs interdisant par leur stagnation bavardeuse l’accès visuel aux pièces de petite taille, l’impression générale est de visiter un trois ou quatre pièces sans la cuisine où l’on communique par des couloirs et des escaliers de service. On est loin du Grand Palais en 1983 où le volume des salles était à la mesure du travail de l’artiste. Ajoutons encore que s’il y a en effet probablement (car je n’ai pas fait le décompte) 130 œuvres il y a surtout beaucoup de petits dessins, gravures et aquarelles et fort peu de grandes toiles. Le travail sur la couleur de Turner y est certes visible mais ô combien plus impressionnant, éblouissant, abouti dans des formats plus importants qui démontrent avec des moyens de peintre son intérêt pour la lumière. À l’exception de quelques chefs-d’œuvre connus et souvent cités (Matin glacial ou Le Déluge) on reste sur sa faim, sauf pour qui souhaite se crever les yeux afin d’apercevoir tous ces travaux préparatoires qui n’auraient jamais dû quitter l’atelier de l’artiste (je me remémore cette exposition de cahiers d’écolier sur les pages desquels Giacometti gribouillait n’importe quoi au stylo bille et que l’on est allé exhumer on se demande bien pourquoi).
Je conçois parfaitement que l’on ait consacré la plus grande salle (la seule en dehors de celle servant de garde-meuble aux ex-occupants des locaux, j’imagine car je ne suis pas allé visiter, n’étant point venu pour ça) la plus grande salle, disais-je, au service documentation, il n’existe pas de petits profits et un centre d’art, à défaut de vendre des Turner, peut toujours proposer son rayon librairie. Me semble par ailleurs pour le moins incongru l’accrochage dans un des escaliers d’une dizaine de tirages photographiques dont on ignore s’ils sont l’œuvre de la femme de ménage affectée à l’entretien de l’établissement ou d’une improbable héritière de Joseph Mallord William Turner. À moins qu’il ne s’agisse des restes oubliés d’une exposition précédente…
Turner offrait pourtant une très belle occasion de montrer de la peinture en des temps où les mercenaires de l’art contemporain se sont reconvertis en installateurs pour qui leurs agents devraient se soucier de d’offrir à ces créations des lieux qui soient enfin en accord avec la modernité de leur travail, tels que chantiers de construction d’immeubles, plateformes de fracturation hydraulique, fermes-usines pour élevage intensif, aéroport implanté en zone humide, cimetières affectés à l’enfouissement de déchets nucléaires, autant d’espaces où les génies de demain pourraient enfin s’exprimer librement et offrir au public in situ le produit de leur travail, libérant ainsi les musées et autres institutions essentiellement vouées à la conservation et à la monstration d’œuvres d’une autre époque.
Vendu pour un prix convenable à quelque émir soucieux d’investir dans la pierre, l’Hôtel de Caumont Centre d’art retrouverait peut-être ainsi sa destination première, un logement assez spacieux pouvant accueillir une famille de migrants en route vers l’Angleterre où sont conservés de très beaux Turner.
septembre 2016

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A
D'accord sur l'essentiel, même si j'ai été très heureux de revoir quelques masterpisseuses, et d'en découvrir deux ou trois. Un peu trop d'obscurité, beaucoup trop de fonds de tiroirs qui n'apportent pas grand-chose, si ce n'est de permettre une validation indirecte de quantité de déchets picturaux plus ou moins contemporains, que Turner aurait annoncés et donc légitimés… Je m'interroge toujours davantage sur cette peu ragoûtante passion que partagent adorateurs inconditionnels et spéculateurs avisés quant à la "valeur artistique" de la moindre crotte de nez étalée par inadvertance sur un mouchoir par l'infaillible génie du thaumaturge. Il est grand temps de retrouver un minimum d'esprit critique et d'honnêteté, et de cesser de porter automatiquement aux nues l'œuvre entier d'artistes qui, si géniaux soient-ils, ont comme nous tous des hauts et des bas.
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C
Je comprends ta légitime déception . La mode est aux performances. Nous avons vu du Koons sous les ors de Versailles, un " vagin de la reine" dans ses jardins .Difficile d'en faire une avec Turner. Rien ne rebutant les fumistes, on se consolera avec la prochaine expo dans la cave à Lulu.
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