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Soit dit en passant

Ils ont voté… et puis, après ?

2 Juin 2014 , Rédigé par JCD

2014 se sera révélée, et ce n’est peut-être pas terminé, une année significative quant au déroulement du processus électoral. Que ne nous aura-t-on rabâché avant, pendant, et après notamment la plus récente consultation, l’ampleur du raz-de-marée de l’extrême-droite. En vérité, rien d’extraordinaire (seulement trois élus), et les principaux médias (je veux parler ici de ceux auxquels une majorité d’électeurs continue de faire confiance) en ont été presque déçus. En revanche, motus et bouche cousue ou presque pour ce qui concerne le score des abstentionnistes, pourtant premier “parti” de France. C’est que la chose est mal vue et qu’elle embarrasse dès lors qu’elle signifie un désaveu, pour ne pas dire un dégoût, vis-à-vis des partis dits de gouvernement, droite et pseudo-gauche confondues. L’embarras vient de ce que nous avons été élevés dans ce fameux respect de la démocratie — dêmos (peuple) - krátos (pouvoir) disaient les Grecs d’avant Aube dorée, d’avant le Pasok, d’avant les colonels — que le monde est censé nous envier puisque le fait de choisir ses représentants fut jadis gagné à la force du poignet et que la Révolution devait remplacer le pouvoir de l’aristocratie par celui du peuple, via ces fameux élus supposés assurer la direction des affaires à sa place. Nous avons pu observer, notamment récemment, combien l’expression “être aux affaires” avait pris du sens. Parce qu’il se trouve que lesdits élus ont très vite compris qu’ils étaient la nouvelle élite et que rien ne les empêchait de procéder d’une manière analogue à celle des monarchistes afin que leurs nouveaux privilèges remplacent avantageusement ceux dont ils avaient noblement décidé de célébrer la fin.
Constater, au fil des gouvernements successifs, que ces fameux représentants représentent d’abord eux-mêmes a très logiquement pu décourager, démobiliser une partie de l’électorat. Constater ensuite que la création d’une Europe forte, destinée principalement, nous disait-on, à maintenir la paix à l’intérieur de ses frontières, n’aura abouti en définitive qu’à accroître les inégalités en augmentant les profits des plus forts au détriment des plus faibles, ne saurait constituer un encouragement à accorder notre confiance à des individus qui nous sont inconnus et à décrédibiliser encore un peu plus les élus nationaux, ô combien coupables de complicité avec un pouvoir financier plus ou moins anonyme, seul à partager avec eux les fruits juteux de la trop fameuse mondialisation.
Depuis combien d’années avons-nous pris l’habitude d’opter pour la solution du moindre mal — lire l’excellent bouquin de Jean-Claude Michéa (1) — en votant contre et rarement pour ? Dès lors, n’est-il pas dans l’ordre des choses que l’on finisse par renoncer, voire s’opposer au principe même du vote par défaut. Non pas abstention, mais boycott résolu, propose Jean Klépal (2) qui voit ici le moyen de transformer la démission stérile en action volontaire et en appelle à La Boétie (3) que je cite amèrement : Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. […] Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ?
Ce boycott résolu, un certain Octave Mirbeau, en 1888, l’avait érigé en devoir civique dans un court texte 4 dont voici un extrait : Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de la République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine en général, et de la sottise française en particulier […] Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. […] L’électeur ? Rien ne lui sert de leçon. Et un certain Philippe Pétain de renchérir : Français, vous avez la mémoire courte !
Me revient fort opportunément ce matin en mémoire le vibrant manifeste en faveur de l’extermination des abstentionnistes rédigé par l’inénarrable Michel Onfray au lendemain des élections européennes de juin 2009 (où nous ne fîmes que 56,5%) et titré fort joliment : Abstention, piège à cons ! Le brave homme y déplorait l’absence d’union entre le NPA et le Front de Gauche et fustigeait les vils abstentionnistes qui avaient par leur manque de civisme permis aux ultra-libéraux de l’emporter haut la main. Je ne résiste donc pas au plaisir d’ajouter à mon propos du jour le textaillon d’un certain Charles Novak — un camarade à moi — adressé, en réponse à la diatribe du célèbre philosophe, au directeur de la publication dans laquelle s’exprimait Onfray qui choisit de ne le point publier.(5)

Diogène, c’est vite dit !

Hou ! les vilains, les pas beaux, les méchants, les traîtres pour tout dire. Oui oui, ces salauds, ces fumiers, ces enculés d’abstentionnistes qui donc ont permis à Sarkozy de décider (dès le lendemain du résultat de cette élection européenne, si j’ai bien compris) d’allonger la durée légale du travail jusqu’à 65 ans, voire 67 pourquoi pas. Ah ! ils ont bon dos les abstentionnistes, un peu comme Julien Coupat qui pourrait bien être – c’est à vérifier et nos ministres de l’Intérieur s’y emploient – responsable, donc coupable, du crash de l’Airbus d’Air France. D’aucuns pensent qu’il eût fallu voter pour “le NPA et le Front de Gauche unis”, lesquels “auraient pu créer […] une dynamique susceptible de créer bla bla bla”. Le NPA et le Front de Gauche unis ça pèse combien à votre avis ? Autant que les voix supposées de LePen en 2002 qui risquait, oulala ! de faire au moins 51% et qui, du coup, à fait voter comme un seul homme 82% des électeurs (sauf ces enfoirés d’abstentionnistes évidemment) pour Chirac, lequel en rigole encore. Car je ne sache pas que l’on demande au bon peuple son avis quand il s’agit de prendre des décisions qui pourtant le concernent. Sont-ce encore ces fripouilles d’abstentionnistes qui sont la cause de tout ce que le pouvoir en place (élu démocratiquement) depuis 2007 a imposé pour la seule bonne raison qu’il est le pouvoir en place : démantellement des services publics, flicage, répression, expulsion des étrangers, culture du chiffre dans les secteurs de la santé, la justice, l’éducation, collusion indécente avec le patronat et les banques, et j’en passe. Non, ce n’est certainement pas dans l’attente du “grand soir pour demain ou après-demain” que les vils abstentionnistes s’abstiennent, c’est qu’ils en ont juste marre, ras-la-casquette de s’entendre précisément raconter des craques depuis perpète par des hommes après tout presque comme eux dont la seule et unique préoccupation est d’obtenir un poste de ministre à vie (car les ministres le sont à vie, comme le pape, c’est assez dire), avec un fauteuil, un bureau, un logement de fonction, une voiture de fonction, un salaire de fonction, une rombière de fonction et un maroquin comme on disait jadis. Oui, en effet, les grands et les petits chefs des syndicats (eux-mêmes attachés à pérenniser leur emploi) se résigneront à organiser des manifestations avec “mégaphones, banderoles et calicots” pour la forme, sans jamais pousser le bouchon trop loin, et ils négocieront avec la bénédiction du Medef ce qui n’est pas négociable tandis que le bon peuple s’en ira dormir dans la rue et se nourrir aux Restos du cœur. Alors, souffrez, messieurs les donneurs de leçon, que les immondes abstentionnistes refusent de marcher dans la combine car, depuis lurette, ils ont fini par comprendre que de cette farce ils seront toujours les dindons, qu’ils se sont certes fait berner en 1981 mais que ce fut la dernière fois et qu’on ne les y reprendra plus. Sachez aussi que la romance à deux balles sur le droit de vote chèrement acquis, garant de la démocratie, ils en ont bien appris les paroles et la musique mais qu’ils en ont trop vu, trop entendu pour croire encore aux contes de fées. Malgré leurs “cervelles étroites” (que de mépris de la part de démocrates !) les infâmes abstentionnistes ont décidé de ne plus jouer le jeu, et pourtant ils sont majoritaires – le plus grand parti de France, sauf que ce n’est pas un parti, justement ! Croyez-le ou non (Ils s’en foutent), les abjects abstentionnistes n’ont pas du tout le sentiment de “servir cette perfide engeance”, en tout cas pas davantage que les courageux votants dont le candidat favori culmine à deux ou trois pour cent. Les répugnants abstentionnistes ne se réclament certes pas que de la gauche, il doit y en avoir un certain nombre de droite, voire d’extrême, et peut-être même des centristes ou des sans opinion. Allez savoir ! Peu importe. En 2005, dans un bel élan de démocratie, on décida de demander leur avis aux Français quant au projet de constitution européenne. Par référendum s’il vous plaît, comme en Suisse. Comme d’autres abstentionnistes dégoûtants (de gauche, du centre, de droite et d’extrême, aucune importance) je suis allé voter Non. Et le Non l’a emporté. Alors, il a été décidé que l’on ne tiendrait aucun compte de ce résultat. Vous comprendrez peut-être que, loin de toute “posture idéaliste et kantienne” — quel mépris, quelle suffisance là encore —, ces salopards d’abstentionnistes (ces cons, comme vous dites) aient un peu perdu la foi et observent sans beaucoup d’intérêt les duels (ah ! la jolie société du spectacle… car enfin ces gens-là appartiennent tous à une même grande et belle famille) auxquels se livrent les candidats à la réussite. Et, de grâce, ne sautez pas sur l’occasion pour brandir l’anathème par lequel on qualifie d’extrémiste (de droite évidemment) quiconque laisse entendre qu’ils sont pareillement crapuleux tous les crabes qui s’agitent dans ce panier. J’ai une telle foi en l’homme que je ne sais toujours pas si, un peu plus âgé en 1943, je n’aurais pas dénoncé des juifs. C’est vous dire ! Mais peut-être est-ce simplement parce que je n’en connaissais pas.

Charles Novak, 25 juin 2009

Il est plus que probable aujourd’hui que je n’aurais pas dit les choses autrement.

juin 2014

1. Jean-Claude Michéa. L’Empire du moindre mal. Climats Flammarion. 2007.
2. Jean Klépal. http://epistoles-improbables.over-blog.com
3. La Boétie. Discours de la servitude volontaire. Mille et une nuits. 2010.
4. Octave Mirbeau. La grève des électeurs. L’Insomniaque. 2007 ou Allia. 2009.
5. Michel Onfray. Abstention, piège à cons ! in Siné Hebdo N°42, 24 juin 2009.Éditions de L’Enragé.

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O
http://www.dailymotion.com/video/x2019zy_les-politiques-d-austerite-ne-marchent-nulle-part-j-l-melenchon_news?start=8
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O
Mince, posté au mauvais endroit, et impossible de corriger.
O
VIVRE ET VOTER COMME DES PORCS ?<br /> <br /> Vivre, et ne pas ne pas voter comme des porcs.<br /> Moi j’ai voté JLM. Ce Monsieur retient toute mon attention. Il est le SEUL à défendre ce que je pense JUSTE. Vous ne l’avez pas aidé. Je m’en désole.<br /> Toute action est justifiable, toute inaction également.. , c’est la magie du verbe. Ténors, gargarisez vous. Mais du balcon ne vous entends pas..
A
J'oubliais de rappeler qu'on peut éventuellement consulter avec ou sans profit mon avant-dernière saillie, pardon sortie en utilisant ce lien dépourvu de toute ambiguité : <br /> http://www.ateliersdartistes.com/VIVRE-ET-VOTER-COMME-DES-PORCS.html
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O
VIVRE ET VOTER COMME DES PORCS ?<br /> <br /> Vivre, et ne pas ne pas voter comme des porcs.<br /> Moi j’ai voté JLM. Ce Monsieur retient toute mon attention. Il est le SEUL à défendre ce <br /> que je pense JUSTE. <br /> Vous ne l’avez pas aidé. Je m’en désole.<br /> Toute action est justifiable, toute inaction également.. , c’est la magie du verbe. <br /> Ténors, gargarisez vous. Mais du balcon ne vous entends pas..
C
LU
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A
Merci, JCD, de me rejoindre dans l'abstention active !<br /> En vérité, c'est moi qui te rejoins, puisque je ne m'étais jamais abstenu jusqu'ici.<br /> Mais trop de merde finit par faire déborder le pot de chambre…<br /> Dans toute cervelle où 2 et 2 font encore 4, il est désormais clair que le vote n'est plus que LE CACHE-SEXE D'UNE TYRANNIE DE MOINS EN MOINS DISSIMULÉE.<br /> Et que, comme je le signalais sur le blog de Jean Klépal, s''abstenir de voter n'implique pas forcément, n'en déplaise aux censeurs pharisiens, se refuser à jouer sa partie dans le concert politico-social. Bien au contraire, c'est en démasquant l'imposture pseudo démocratique qui sert de légitimation à la confiscation du pouvoir par de prétendues élites que nous pourrons refonder la démocratie en actes et non plus en paroles, permettant ainsi aux initiatives individuelles et collectives qui commencent un peu partout à surgir de se développer dans un contexte favorable, au lieu d'être constamment entravées, voire interdites par tout le majestueux arc-en-ciel des ubiquistes formes de répression mises au point par nos si bienveillants gouvernements démocratiques : ô douce violence de la matraque communicationnelle, ô violence cyniquement abstraite du pouvoir financier, ô jouissif usage &quot;raisonné&quot; du taser, du canon à eau et des balles en caoutchouc !<br /> À quoi sert de voter quand le pouvoir peut à son gré défaire ce que le vote avait décidé ?<br /> Si nous n'avons pas le courage de nous révolter quand on nous méprise ouvertement, ayons au moins celui de ne pas nous prêter à une indigne mascarade…
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O
Nous avions voté Non et nous nous sommes fait doublés par le dictat de ceux qui pensent mieux savoir que nous. Bien sûr, je ne suis spécialiste en rien concernant la gouvernance et ses compromissions inévitables. Bien sûr j'aurais pu dire Mr2 et vouloir tout envoyer balader, et grossir les rangs des Punks.<br /> Mais ayant passé l'age, et enflé du devoir de citoyen j'ai quand même continué à voter, sans jamais louper un rendez vous. A chaque fois je me suis fait avoir. Toujours du côté des loosers.<br /> Je continuerai cependant. Born to blues..
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