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Soit dit en passant

Le déshonneur des poètes

7 Août 2014 , Rédigé par JCD

Les poètes ont quand même une singulière et fâcheuse tendance à se satisfaire de données pour le moins floues, quand elles ne sont pas délibérément fantaisistes. Comme il se doit, les plus arrogants d’entre eux invoquent la poésie elle-même, laquelle non seulement les autorise mais les encourage dans cette voie, la poésie ayant tous les droits. Disent-ils.
On a vu par le passé la manière dont ils se sont affranchis de la rime, de l’alexandrin (voir les propos tenus par le père Hugo) favorisant la césure baladeuse dans le seul but d’ouvrir largement la porte à tous les écrivaillons qu’une ambition vorace poussait à obtenir ainsi une admission plus ou moins frauduleuse au sein d’un cénacle dont les illustres anciens, sentant venir l’affront, s’étaient réfugiés dans l’Olympe. Baudelaire lui-même n’avait-il pas cédé à la tentation en publiant des poèmes en prose !
Le vague et l’approximatif allaient désormais devenir la règle. Rimbaud, encore respectueux de la rime mais bénéficiant vraisemblablement du pouvoir de séduction que lui apportait son insolente jeunesse, sombrait dans la facilité avec ses Voyelles dont le moins que nous puissions dire aujourd’hui est qu’elles brillent par leur imprécision. Noir, blanc, rouge, vert, bleu. C’est un peu court, jeune homme, quand il eut fallu indiquer si le noir était d’ivoire, de pêche, de vigne (voire de pêche de vigne) ou de bougie, le blanc de titane ou de zinc, le rouge vermillon, carmin ou de garance, les verts ô combien multiples allant du Véronèse à l’émeraude et les bleus du céruléum à l’outremer en passant par le cobalt et le turquoise… Et que dire de l’absence du jaune, pourtant couleur primaire dont le petit Arthur aurait pu, s’il avait daigné l’inclure dans sa palette, mentionner toutes les nuances, du citron au cadmium sans oublier le chrome, éventuellement orangé… et les terres de Sienne, d’ombre, brûlée ou naturelle, il y avait pourtant là de quoi colorer par exemple toutes les consonnes.
Sur une telle lancée tout ne fit ensuite qu’empirer. Le ciel est bleu, la mer est verte… Quelle indigence ! devraient s’exclamer les élèves du cours préparatoire. Qui n’en font rien car nous vivons dorénavant dans le culte de l’à-peu-près, dans la vénération de l’évasif. De Guillaume Apollinaire à Émilie Simon en passant par Raymond Queneau et Brigitte Fontaine, il n’est pas un de ces poètes qui ne se soit contenté de nous dire Il pleut sans se préoccuper d’approfondir quelque peu la question. Certes, le minimalisme fut un temps à la mode mais le clampin ordinaire, qui ne se pique point d’être pôhaite, aimerait peut-être néanmoins que les professionnels de la profession nous en disent un peu plus, nous précisent s’il s’agit d’un modeste mais têtu petit crachin breton, surtout si la scène se passe à la frontière entre l’Ouganda et la Tanzanie, à moins qu’ils ne nous parlent de trombes d’eau, de giboulées agrémentées de chutes de grêle, de tornades entraînant le débordement des fleuves et des rivières, des inondations sans précédent, éventuellement citer alors le niveau de la Seine par rapport au zouave du pont de l’Alma… Non, il pleut, point à la ligne. La belle affaire ! Et quelle sobriété, quelle concision, quelle économie dans le fond comme dans la forme. Nul ne pourra dès lors dénoncer l’amphigouri, vilipender le délayage dans lequel se complaisent d’incontinents sybarites, la poésie enfin ramenée à l’essentiel.
Un ascète qui passait par là estima que c’était faire bien des concessions, qu’il y avait dans ce Il pleut  quelque chose d’extrêmement directif, voire dirigiste en quelque sorte, que le caractère descriptif n’était pas exempt de romanesque et que le lecteur se trouvait soumis à un choix qu’il n’était pas tenu d’accepter et qu’en somme tout cela manquait de liberté, d’ouverture. Sortant de sa poche un morceau de craie bleue, il s’approcha du haut mur de l’école derrière lequel on entendait des enfants ânonner un poème célèbre d’Éluard et écrivit : il et ajouta juste un point.

décembre 2013    

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C
C'est vrai que le &quot;il pleut&quot; tout seul est un peu &quot;sec&quot;.<br /> Ce ne sont pas les superlatifs qui manquent. <br /> (rayez les inutilisés)<br /> <br /> Il pleut des cordes<br /> . Il pleut des hallebardes<br /> . Il pleut comme vache qui pisse<br /> -pleuvoir à verse <br /> - pleuvoir à torrent <br /> - pleuvoir des trombes d'eau<br /> -Il pleut comme les bombes à Gaza<br /> -etc...etc...
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C
Pour les couleurs, j'men moque j'suis daltonien alors.....
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C
C'est vrai que quelques vers supplémentaires changent beaucoup <br /> l'intérêt que l'on peut porter à la météorologie. Verlaine l'avait bien compris.<br /> <br /> Il pleure dans mon coeur<br /> Comme il pleut sur la ville ;<br /> Quelle est cette langueur<br /> Qui pénètre mon coeur ?<br /> <br /> Ô bruit doux de la pluie<br /> Par terre et sur les toits !<br /> Pour un coeur qui s'ennuie,<br /> Ô le chant de la pluie !<br /> <br /> Il pleure sans raison<br /> Dans ce coeur qui s'écoeure.<br /> Quoi ! nulle trahison ?...<br /> Ce deuil est sans raison.<br /> <br /> C'est bien la pire peine<br /> De ne savoir pourquoi<br /> Sans amour et sans haine<br /> Mon coeur a tant de peine !<br /> <br /> P
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