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Soit dit en passant

Un brave type

27 Août 2014 , Rédigé par JCD

Je n’en disconviens pas, bien au contraire j’abonde lorsque j’apprends qu’Untel est mort dans son lit ou dans son fauteuil, prolongeant ainsi plus que de raison une sieste digestive ou une nuit de sommeil tout à fait reposante. Mourir, en effet, n’est rien de plus qu’une promenade qui s’achève, en douceur en somme, presque proprement. Bien entendu, monsieur Untel n’a pas eu la chance de vivre ce moment comme une délivrance puisqu’il a été privé de ces effroyables souffrances qui font que l’on aspire à en finir au plus vite. Il ne s’est aperçu de rien, comme qui dort tellement profondément qu’il en oublie de se réveiller. Il n’en a pas vraiment profité et il aurait de bonnes raisons de se montrer un peu amer dès lors que les choses auraient pu continuer ainsi encore un moment et qu’on a interrompu cet état de béatitude pour le faire basculer dans l’absence. Mais il n’ira pas réclamer, auprès de qui d’ailleurs ?
Déjà rigide et froid, il vient d’entrer dans la phase de sanctification. Autour de lui, ils ne sont pour l’instant que quelques-uns à avoir entrepris de le réhabiliter. Celui dont on disait qu’il était odieux, insupportable et méchant, une langue de vipère, est en train, progressivement, de devenir un être particulier, unique en vérité, rempli de qualités, certes pas toujours évidentes à discerner mais qui émergent lentement au fur et à mesure que l’on en parle. Le saint homme est en marche, il ne devrait pas tarder à faire son entrée, dans moins d’une heure ce sera fait, sans tapage ni déplacement d’air inutiles. Ces défauts, ces tares qui le rendaient détestable sont en ce moment même appelés à se convertir sans trop attendre en autant de mérites, de talents et de vertus, justifiant l’amour et l’admiration que désormais on lui voue ; si cela s’avérait possible on débaptiserait la rue où il a terminé sa vie pour lui donner son nom, et peut-être également celle où il est né, bien loin d’ici peut-être, à condition naturellement que les autorités compétentes y consentent.
Des voisins, qui passaient par là pour gagner l’hôpital où ils ont rendez-vous avec l’oncologue, s’arrêtent un moment afin d’entendre ce qui se dit, tentés par l’idée de rappeler comment monsieur Untel prenait, à chaque fois qu’il les croisait et avant qu’ils n’aient eu le temps de changer de trottoir, un plaisir malsain à demander des nouvelles du cancer de l’utérus de la grand-mère qui, quand même et bien que les choses aient tendance à s’oublier, disait-il, durant l’Occupation aurait mieux fait d’y réfléchir à deux fois. Et finalement, les voisins choisissent de s’abstenir, puisqu’il est mort et bien mort, certes sans même la moindre maladie mais qu’ainsi au moins il ne parlera plus.
On voit par là combien les cadavres, à jamais muets, deviennent inoffensifs mais, de surcroît, gagnent en honorabilité.

mai 2014   

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C
Bon, j'ai peut-être un peu trop &quot;charrié&quot; pour le courrier. Promis je serais plus respectueux.<br /> Sans rancune <br /> Pierre
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C
Cette épitaphe me semble illustrer assez bien ton propos.<br /> <br /> Ci-gît un très grand personnage,<br /> Qui fut d'un illustre lignage,<br /> Qui posséda mille vertus,<br /> Qui ne trompa jamais, qui fut toujours fort sage...<br /> Je n'en dirai pas d'avantage,<br /> C'est trop mentir pour cent écus.<br /> <br /> Par: Bernard de La Monnoye<br /> <br /> (composée pour la mort de l'abbé de La Rivière pour cent écus)
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