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Soit dit en passant

Éloge de l’imbécile ordinaire

2 Juillet 2014 , Rédigé par JCD

Innombrables sont les imbéciles ordinaires qui, chaque matin, se lèvent sans même se poser la question de savoir si c’était vraiment nécessaire. Parmi cette multitude de bienheureux seulement quelques-uns — une sorte d’élite, si l’on veut — hésitent un court instant, comme s’ils n’étaient pas absolument certains de la déconfiture qui les attend dès les premières minutes de cet épisode quotidien et qui ne les lâchera pas une seule seconde jusqu’à ce qu’ils aient regagné, des heures et des heures plus tard, leur couche et sombré — mis à part les insomniaques qui ne sont point gens tout à fait normaux — dans l’hébétude que généralement génère la pratique, même à dose homéopathique mais néanmoins systématique, du terrible bilan de fin de journée qu’il faut hélas recommencer sans cesse jusqu’à ce que mort s’ensuive.
J’ai remarqué, bien souvent, que les petits soucis ou les grandes inquiétudes de quelques-uns, mais également de quelques-autres, provenaient la plupart du temps de cette véritable obsession à continuellement se demander pourquoi ceci, pourquoi cela. C’est bien évidemment dans le fait de s’interroger que s’installe et enfle l’angoisse, née de la plus totale absence de réponse, hormis celles qui sont tellement idiotes qu’on les croirait inventées par quelque missionnaire revenu sain et sauf de nos belles colonies. D’où l’on déduira tout naturellement qu’il est de loin préférable d’appartenir à la grande confrérie des imbéciles ordinaires que rien jamais ne turlupine. Car l’imbécile ordinaire, qui est une espèce très répandue, ne se pose nullement la question de savoir pourquoi les petits pois sont ronds et s’abstiennent de tout commentaire concernant leur infirmité alors que, dans plus ou moins le même temps, Albert Einstein claironne sur les principales chaînes de télévision qu’il a inventé la théorie de la relativité, mettant ainsi à mal le fait que les petits pois soient ronds et qu’il s’agirait d’une infirmité. L’imbécile ordinaire, c’est-à-dire de modèle courant directement sorti d’usine, sans la moindre option, n’éprouve à aucun moment de son existence le besoin de savoir ce qui se passerait si les petits pois étaient carrés, rouge vermillon et avaient la taille d’un ballon de football. La face du monde en serait pourtant bien modifiée, pas seulement en raison de la couleur rouge vermillon et de ce petit goût d’acier chauffé, au demeurant pas si désagréable qu’on le prétend, propre aux légumineuses récoltées dans la banlieue de Kiev où certains potirons, dit-on, permettent de nourrir la totalité des chœurs de l’Armée rouge durant plus d’une semaine. Sans compter les restes avec lesquels ils fabriquent une sorte de Ketchup, auquel les vrais amateurs avouent trouver, en dépit de son coût véritablement abordable, un goût un peu fade. Songez que pour la recette du pigeon aux petits pois (de taille normale) il faut compter, selon Ginette Mathiot qui n’est pas n’importe qui, pour six personnes un kilo de petits pois normaux et trois pigeons. Si chaque petit pois soudain devenu gros pèse près de trois kilos, combien faudra-t-il de pigeons et de convives ?
Saluons donc cet homme que la sagesse illumine en Technicolor, sans qu’il ne sache rien de cet état involontaire, ce qui ajoute encore à la beauté sidérante de son innocence. Que nul ne s’autorise l’insolence de le traiter d’optimiste, il est seulement idiot et n’a pas choisi d’être béat. Là où les disciples d’Émile Coué se donnent énormément de mal pour ne surtout pas voir l’horreur qui se profile derrière le mot avenir, lui restitue toute sa grandeur à l’ignorance avec une passivité aussi exemplaire qu’admirable. Il est magnifique d’indifférence naturelle, bien plus émouvante que celle enseignée dans les ashrams de Chandernagor par des gourous en pantalons de zouaves, il est moins que velléitaire, moins que neutre puisque les avis, les opinions des uns et des autres ne le concernent pas et que l’idée même de prendre parti ne l’effleure jamais. Le monde bruit tout autour de lui, on tue, on pille, on égorge, il n’entend rien, ne voit rien, il est serein sans savoir qu’il l’est. Certains beaux esprits affirment qu’il est con.

novembre 2013

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C
Parmi les innombrables citations que les cons ont inspirés à de fins observateurs de nos con-génères il y en a trois qui me plaisent particulièrement.<br /> <br /> Celle de Michel Audiard, &quot;Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît.&quot; <br /> <br /> Celle de François Cavanna ,&quot;Les cons gagnent toujours, ils sont trop.&quot; <br /> <br /> Enfin celle de Frédéric Dard, &quot;Rien n'est plus voluptueux pour un pas con que d'être pris pour un con par un con&quot; s'inspirant largement de celle plus académique de G.Courteline, &quot;Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet.<br /> <br /> Mais comme on est toujours le con de quelqu'un...... je me pose parfois des questions ? <br /> <br /> Il y a plusieurs catégories de cons dont il serait trop fastidieux de les énumérer ici.
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