Viser bas, c’est viser juste
J’ai trouvé ce matin dans mon tabernacle à courrier (j’emprunte l’expression à mon graphomane favori) une missive qui m’était adressée par l’Association pour la préservation des élites nationales – à laquelle j’ai toujours refusé d’appartenir, principalement en raison du fait qu’ils ne me l’ont même pas proposé – missive que je ne saurais conserver par devers moi pour mon seul plaisir, étant moi-même ardent défenseur d’un altruisme débridé lorsque je suis de bonne humeur, ce qui ne m’arrive pas tous les jours. Il est maintenant plus ou moins seize heures, dans une heure il en sera dix-sept, c’est assez dire qu’il est plus que temps pour moi d’en partager avec mes innombrables lecteurs le contenu ô combien édifiant. Celui-ci étant dépourvu de titre je me suis permis d’extorquer à Jean Anouilh cet aphorisme dont la justesse et l’à-propos me semblent convenir à l’exercice.
De très nobles personnes dont la grandeur d’âme irradie d’une beauté sans tache et qu’insulte tel propos tenu par celui-ci, ou celle-là, à l’encontre de Vincent, François, Paul ou les autres, s’offusquent de ce que l’on pût ainsi médire d’autrui. Car se sont là pour elles, belles et nobles personnes, sentiments et attitudes indignes de qui l’on serait en droit d’attendre davantage de mansuétude, et pourquoi pas d’amour désintéressé – tous ne l’étant point car il en est de fort vénaux. Qui se croit riche de presque toutes les vertus écarte avec dédain le moindre mot qui désoblige et s’interdit un tel usage, il n’entend voir chez celui qu’ainsi l’on outrage que louables mérites et n’hésite donc jamais à dénoncer pareille injustice qu’il y aurait à pareillement le couvrir d’opprobre, il s’étonne de semblable acrimonie, s’en offense quand il existe quantité de termes pour dire sa compassion et témoigner de sa sollicitude envers quiconque n’a pas eu la chance de naître beau, riche et paré d’une insolente santé. La bonté serait-elle prohibée lorsqu’il s’agit de l’autre qu’il faille sans cesse lui rabâcher son insoutenable laideur, sa déplorable vêture et sa langue si peu châtiée, sans omettre par ailleurs l’atroce misère qui l’oblige à se nourrir de détritus à peine séparés de l’ordure là où quelque bienheureux nanti les avait fait jeter la veille ou l’avant-veille. Les incriminés ne seraient-ils pas des hommes comme les autres, encore qu’il faille ici se faire préciser qui sont les autres, dès lors qu’ils peuvent être tout à fait et sans vergogne étrangers, voire pis si bougnoules, négros ou niacoués, sans compter que le rom ne soit à exclure qui connut un certain succès l’an passé – et l’on voit par là combien les modes sont passagères, capricieuses et quelque peu discriminantes. Louons donc Vincent, François, Paul et les autres sans perdre toutefois de vue les différences qui nous contraignent à ne point bâfrer de conserve aux célèbres grandes tables puisque la mise, les us et coutumes des uns risqueraient fort d’indisposer ceux-là mêmes dont la naissance peut-être laisse à désirer. Entre gens de bonne compagnie, conchions les grossiers, les incultes, les mufles et goujats que leur ignorance de la belle fraternité conduit à ignorer les pauvres de toutes sortes alors qu’ils sont ô combien nécessaires et renonçons, pour l’instant, à nous soucier du fait qu’ils sont de plus en plus nombreux et parfois un peu envahissants. Rayonnons d’altruisme généreux pour autant que chacun sache clairement quels sont ses devoirs comme ses droits, exhibons sans ostentation excessive nos quartiers de noblesse afin que l’on sût sans ambiguïté aucune qui donne et qui reçoit, osons l’aumône qui comble le déshérité et raffermit notre prospérité. Épargnons-nous la tentation de déchoir en usant d’un vocabulaire qu’il faut savoir abandonner aux ambitieux que leur avidité à grandir et leur impéritie conduisent à s’égarer dans la vulgarité langagière.
mars 2016