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Soit dit en passant

Si le pain est frais et croustillant

3 Décembre 2015 , Rédigé par JCD


On a beaucoup médit sur le terrorisme. Lorsqu’il s’exerce hors de nos frontières il parvient à susciter quelque émotion jusqu’en certains milieux particulièrement bien informés, sans toutefois mobiliser les foules qui, dès lors qu’un événement se produit légèrement à l’écart du trajet quotidien de chacun, ont bien d’autres soucis que celui qui consisterait à s’intéresser au sort d’individus constituant ce que l’on nomme, certes un peu hâtivement, des étrangers. Il s’agit pourtant d’une situation à laquelle nous échappons difficilement, sauf à ne quitter sous aucun prétexte, fût-il particulièrement excitant, son fauteuil confortable d’où l’on peut suivre avec un très vif intérêt les évolutions quelque peu désordonnées, et même parfois incohérentes, d’une mouche cherchant à retrouver l’issue par où elle est entrée dans la pièce l’instant précédent, lorsque la fenêtre était ouverte pour un renouvellement rapide de l’air ambiant avant l’explosion de la totalité de l’immeuble.
Dès lors que ce type d’incident se produit, disons dans le canton de Bâle, l’habitant moyen de Savigny-sur-Orge s’en étonne peut-être un peu mais fort brièvement et n’en continue pas moins ses mots croisés, surtout s’il est persuadé d’avoir sans effort excessif trouvé le mot de quatorze lettres correspondant idéalement à la définition suivante : Arbeit macht frei (1).
Si ladite explosion a lieu à Savigny-sur-Orge, et pourquoi pas dans la rue, voire dans l’immeuble même où l’homme était précisément en train d’écrire le mot de quatorze lettres, il y a fort à parier que l’individu en question manifestera une contrariété parfaitement compréhensible, bien que temporaire puisque l’effondrement du pâté de maisons ne lui aura pas permis de vérifier si, profitant de l’ouverture inopinée de la porte, la mouche n’aurait pas saisi l’aubaine pour s’en aller voir ailleurs si j’y suis. Mais rien n’est moins certain car l’existence est confrontée à un nombre ahurissant d’impondérables.
On voit par là, quand la poussière des gravats est un peu retombée, combien la localisation d’un attentat peut revêtir un caractère éventuellement traumatisant pour quiconque n’aura pas été prévenu au préalable afin qu’il rangeât soigneusement son crayon-gomme-spécial-motscroisés avant l’explosion et prît soin, dans un même élan, d’ôter ses lunettes pour ne pas risquer de récolter quelque blessure au visage et même possiblement de perdre la vue. Dans la plupart des cas, seul l’exécutant est correctement informé du lieu exact où il doit opérer et il n’y a là rien qui ne soit que très compréhensible puisque, dans le cas contraire, il est à craindre que le nombre d’innocentes victimes s’en trouverait singulièrement minoré. Or, ce n’est nullement le but recherché et il n’est pas nécessaire, ni même indispensable d’avoir fait Sciences Po pendant plus de six mois pour le comprendre.
Naturellement, lorsque l’attentat se produit à Savigny-sur-Orge les bienheureux habitants de Bâle, dont la curiosité n’est en rien inférieure à celle de n’importe quel animal domestique enfermé dans le placard à balais depuis une semaine, se réjouissent du fait que les terroristes s’en prennent plutôt à l’étranger, car nul être humain n’aime particulièrement faire l’objet d’une attention particulière de la part d’individus réputés malveillants, alors qu’il existe tant de bonnes raisons d’aller faire ce genre d’exploits ailleurs. Sans vouloir pour autant stigmatiser les Saviniens et Saviniennes. Lesquels, soit dit en passant, affirment n’avoir aucune animosité tranchée à l’égard des Bâlois et Bâloises.
L’intérêt que perçoivent immédiatement les autorités se déclarant seules compétentes en terme de sécurité s’affirme dans la décision quelque peu autoritaire bien qu’approuvée par les populations possiblement traumatisées de rétablir illico presto un état d’urgence permettant à tout un chacun de recouvrer sa lucidité afin de dénoncer sans attendre le premier terroriste venu dont le culpabilité à l’évidence saute aux yeux. Rassuré d’avoir rempli son devoir sans barguigner et même avec célérité, le citoyen exemplaire se rend en toute hâte avant le couvre-feu chez Pierrette Gourdiflot dont les pieds et paquets façon Gourdiflot sont connus jusqu’à Viry-Châtillon pour cet arôme spécifique qui n’est pas sans évoquer – Orly est à deux pas – le kérosène.
Tous les médias s’interrogent et font appel à leurs philosophes et sociologues habituels afin de tirer les choses au clair : des ignobles terroristes, du pouvoir répressif dont le sens aigu de la prévention n’aura échappé à personne et des médias eux-mêmes, qui terrorise le plus et le mieux, c’est-à-dire le plus efficacement ? En attendant de bientôt commémorer on rend hommage. Les victimes, fussent-elles en nombre relativement restreint mais néanmoins toujours suffisant, fournissent un excellent prétexte. On en appelle à l’unité nationale, les cotes de popularité remontent, Rouget de Lisle repasse en tête du top 50 et les couturières spécialisées dans le tricolore font des heures supplémentaires, on évoque la possibilité d’une sorte de service lui aussi national tout en le compensant par une déchéance de la nationalité qui ne saurait affecter bien sûr les étrangers – le pouvoir a ses limites –, on rétablirait volontiers la peine de mort, on ferme les frontières aux individus ordinaires mais la libre circulation des capitaux et des crapules est préservée, l’honneur est sauf, ou du moins ce que ces gens-là nomment ainsi. Chaque dieu reconnaîtra les siens.
On a beaucoup médit sur le terrorisme sans toutefois se poser les vraies bonnes questions :
Pourquoi existe-t-il des terroristes ? Vraisemblablement pour contrarier ceux qui ne le sont pas. Par ailleurs, s’il existe par exemple des banquiers pourquoi n’y aurait-il pas des terroristes, car dans une économie de marché il faut bien que tout le monde vive.
Pour quelle(s) raison(s) ceux-là ont-ils surgi un beau matin en Irak avant de s’installer également en Syrie et maintenant en Libye ? Après que les glorieux serviteurs de Bush père et fils and Co aient débarrassé l’Irak du méchant Saddam Hussein la place était libre et le pétrole à disposition, il suffisait de se servir.
Pourquoi leurs sergents recruteurs viennent-ils faire leur marché dans ce que nous sanctifions du nom de démocraties ? Probablement parce que nous proposons l’un des meilleurs dispositifs post-attentats et que, lorsque les choses se déroulent normalement, personne n’en sort vivant. En outre, il est rassurant et confortable de pouvoir s’appuyer sur du personnel local qui dispose d’une connaissance généralement bonne du terrain. On a bien vu le ridicule dans lequel sombraient jadis nos pauvres soldats du contingent obligés de demander au premier venu : Hé ! bougnoule, c’est par où la casbah ?
Enfin, ne serait-il pas enfin temps de s’interroger sur la pertinence de ce tutoiement propre à nos forces de police alors même qu’un tel excès de familiarité crée des liens obligeant le terroriste que l’on invite pour l’apéro à ne jamais venir les mains vides. À la première explosion on invoque le champagne, mais à la seconde…
Quant à l’argument religieux, souvent avancé par les plus fins de nos analystes, relativisons-en la portée ! Ces pratiques ne sont pas des plus originales, chaque dogme emprunte au voisin, avec des variantes plus ou moins subtiles. Chacun prétend évidemment que le sien est le seul qui convienne, non seulement à lui-même mais à l’humanité tout entière, ce qui ne manque pas d’alimenter la contradiction. Alors qu’il suffirait de se taire et de se retirer dans sa tanière pour lire, écouter un peu de musique, écrire quelques lignes ou ne rien faire du tout, en adoptant avec naturel un air idiot seul capable de décourager l’autre que, poussé par un vieux fond de coupable sociabilité, on aura invité à entrer. Chaque doctrine induit l’endoctrinement, d’une manière ou d’une autre, et si la brutalité est nécessaire allons-y pour la brutalité et le vacarme. Retirons-nous, moi et moi, loin des foules qu’il faudra convaincre de leur vulnérabilité.
Je choisis de ne compter que pour du beurre, ce n’est pas si mal si le pain est frais et croustillant.

1. Principalement. Mais il s’agit néanmoins d’un concept qui s’est, depuis lors, beaucoup exporté, au-delà même de ce que l’on nomme la communauté européenne.
décembre 2015

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