Roboratif et gouleyant
D’un côté il est des plus roboratif et divinement gouleyant pour l’ego de se savoir détesté, principalement par les cons — qui sont quand même qu’on le veuille ou non les plus nombreux — mais de l’autre on ne peut s’empêcher, lors de certains pics de mélancolie possiblement automnale à l’heure où les raviolis terminent de figer au fond de la casserole et que dans les chênes de la combe endormie bouboule le hibou, d’avoir envie que l’on nous aime et déplorer de ne l’être pas. Force m’est de reconnaître que l’existence n’est pas toujours à la hauteur de nos espérances, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est préférable de se bien garder d’espérer, attitude qui ne peut déboucher que sur la déception dont nous savons — en tout cas devrions-nous le savoir depuis le temps que dure la plaisanterie — qu’elle peut générer l’amertume et conduire à terme au carnage épouvantable avec des morceaux éparpillés et des taches sur le papier peint à fleurs de la chambre des voisins d’en face ou, au pire, au suicide de cet être pas plus désespéré qu’un autre mais pour qui c’est déjà bien suffisant. Je dis au pire parce que le suicide, lorsqu’il n’est pas raté, ne réjouit que les autres puisque le concerné au premier chef, l’intéressé en somme, n’est plus en mesure d’apprécier la sobre beauté de son geste alors que le carnage, s’il est vraiment de haut niveau, peut enchanter le survivant dont le projet primordial était bien de se faire plaisir.
La plupart du temps nous aimerions être aimé, c’est là un réflexe somme toute naturel dont on ne peut critiquer sans se montrer injuste la légitimité. Mais que ne nous faut-il pas faire pour obtenir les cadeaux, les compliments, les faveurs témoignant de la ferveur qui nous est prodiguée et que nous méritons, car nous devons alors renoncer à la franchise dont nous n’ignorons pas qu’elle sera mal interprétée, taire nos reproches, qu’ils soient justifiés ou non, flatter à notre tour, nous abaisser jusqu’à ravaler d’éventuelles rancœurs qui ne nous vaudraient en retour qu’anathème et humiliations vexatoires. On n’est jamais aimé, quand on l’est, pour ce que l’on est mais pour l’idée, l’image que celui qui aime a de nous à cet instant précis. C’est alors que l’on peut se dire que la supercherie a fonctionné, sans toutefois prononcer le mot mais plutôt, si vraiment nécessaire, évoquer la notion d’illusion dans la mesure où elle induit fatalement celle d’une inévitable désillusion à venir.
À défaut d’être aimé il faut savoir se satisfaire d’être jugé supportable, ce qui n’est déjà pas une mince affaire puisque cette qualification suppose que l’on se dispense d’émettre un jugement, une opinion qui pourraient désobliger la personne censée nous supporter. Mais il ne faut surtout pas se monter excessif en sens contraire et obstinément se taire, attitude certes pleine de circonspection mais qui risque fort d’être qualifiée d’intolérable en raison de l’ennui profond qu’elle menace d’installer entre l’insupportable et son juge.
À tout prendre, mieux vaut être détesté. On est ainsi assuré de vérifier que l’autre est un con.
février 2014