Pour parler d’autre chose…
Un de mes amis — que je supposais plus ou moins feinté défunt, bien que n’ayant pas été invité à consoler sa veuve — vient inopinément de se rappeler à mon bon souvenir pour me signaler une inexactitude qu’il aurait relevée dans un de mes récents blogs. Il existerait selon lui un certain nombre d’individus — un seul peut-être mais très actif — qui pratiqueraient, en plein vingt et unième siècle, l’activité de peintre en lettres, un art ô combien délicat dont j’avais malencontreusement et fort injustement dénoncé la probable disparition. Mon ami aurait lui-même, en personne en quelque sorte, observé à l’occasion, je cite, du Salon des antiquaires de la Bastille que toutes les enseignes indiquant le nom des exposants et le numéro du stand seraient (le conditionnel est de moi car je ne crois que ce que je vois, c’est d’ailleurs pour cette raison que je demeure fermement athée et vigoureusement hostile aux barbiers qui demain raseraient gratis) peints à la main en lettres rouges, et en italiques, sur un petit carton. Je reconnais qu’il faut certainement être un peu spécial pour fréquenter ce genre de lieux, néanmoins l’information est là, dans toute sa candeur un peu archaïque, et laisse pantois. Car vous avez bien lu, tout comme moi : peints à la main. À l’heure de l’infographie, comme on dit, d’Internet et du téléphone portable, de pauvres employés, certainement honteusement sous-payés, en sont réduits à peindre à la main — et en italique, ce qui est plus difficile à cause de la pente qui doit être constante — des noms et des numéros sur de petits bouts de carton pour gagner misérablement de quoi nourrir leurs multiples femmes et enfants, et eux-mêmes s’il y a des restes.
Un autre de mes amis (si si, j’en ai plusieurs ! même si le mutisme de la plupart de ceux à qui je destine régulièrement mes modestes écrits m’incite à penser qu’ils sont tous probablement morts) me signale avoir trouvé trace de cette occupation démodée jusque sur Internet précisément. Je ne suis pas allé vérifier, cela sent un peu trop le canular. En revanche, que deux personnes, vraisemblablement encore vivantes, se soient pareillement mobilisées pour défendre la cause de professionnels dont la corporation est sans aucun doute radiée à jamais des listes de Paul Emploi m’incite à penser que nous ne saurions totalement désespérer de l’humanité. Il s’en faut probablement d’un cheveu que ces deux-là ne se soient déjà engagés pour aller soutenir les nobles Ukrainiens qui semblent hélas ignorer ce à quoi ils s’exposent en voulant à tout prix — et ce n’est pas une façon de parler — entrer dans cette belle et chaleureuse communauté économique et financière qu’est l’Europe (pour le social les dates des prochaines négociations sont toujours en cours de discussion).
N’oublions pas pour autant que c’est le quatorze juillet mille neuf cent soixante-dix que Luis Mariano nous quittait. Une raison supplémentaire de ne pas désespérer.
septembre 2014