Inspirez ! Respirez…
J’ai, durant un de ces jours derniers et sans doute un peu en ricanant, usé à propos de poésie d’un terme totalement incongru en parlant d’inspiration. L’inspiration c’est une action qui consiste à faire entrer de l’air dans les poumons avant de le rejeter en expirant, au scanner une voix nous demande d’inspirer puis de bloquer durant quelques secondes la respiration. L’inspiration qui inspire serait bien différente. J’admets que l’on ait en effet tendance à invoquer l’inspiration et surtout le manque d’inspiration en lisant, regardant ou écoutant certaines œuvres dont on se dit qu’il eût été préférable que l’auteur s’abstînt de s’entêter pour aboutir à semblable résultat.
Il est d’ailleurs pour le moins curieux de constater que la plupart des individus semblent persuadés de ce que tel artiste, écrivain (et principalement poète), ou musicien pourrait être visité par quelque esprit mystérieux venu lui insuffler une sorte de grâce, probablement d’essence divine, qui l’amènerait, sans le moindre effort, à agir exactement comme il convient pour produire, disons naturellement, spontanément, non plus l’œuvre immortelle mais le chef-d’œuvre définitif. Voltaire lui-même soutenait qu’il ne faut jamais rechercher l’inspiration mais attendre qu’elle se manifeste. Il voyait dans le travail le moyen de ne céder ni à l’ennui, ni au vice et pas davantage au besoin. Le salut de l’honnête homme par le Travail ainsi sanctifié.
Certains individus, habités par l’irrésistible besoin de créer quelque chose, fut-ce n’importe quoi, affirment au contraire que tout n’est que travail obstiné, continu, à l’atelier ou au bureau de telle à telle heure, comme un quelconque ouvrier spécialisé ou employé. Ceux-là, bien sûr, qui ont une haute opinion de leur art, détesteraient pourtant qu’on osât les comparer à ce tourneur-fraiseur vraisemblablement inculte pour qui, cela ne fait aucun doute, Picasso est le nom d’une automobile, de marque Citroën, prénommée Xzara et Maïakovski un avant-centre du Paris-Saint-Germain. Ceux-là, les mêmes donc, ont une vénération crypto-bolchevique à l’égard du travail, toujours prêts à glorifier la satisfaction que l’on tire de la besogne accomplie, sans toutefois user de mots aussi bas puisqu’il faut savoir raison garder et faire la différence entre Travail et travail. Le concept d’inspiration les pousse à sourire, voire à s’offusquer dès lors qu’il occulte l’idée d’effort et de mérite.
Il en est donc pour qui l’inspiration est une galéjade, indigne des créateurs authentiques, et d’autres dont on devine qu’ils aiment avoir été touchés par une sorte d’illumination soudaine sans laquelle ils ne seraient en aucun cas parvenus à un tel degré de perfection. Les premiers puent la sueur et leur passion idolâtre pour la tâche grâce à quoi ils s’épanouissent me répugne, les seconds m’affligent tant leur crédulité de mystiques les rend inguérissables.
Je regarde, j’observe, je vois, j’écoute, j’entends et réagis. Certains jours, non. D’autres, oui. C’est ainsi, et nul mystère n’en est la cause. Pas davantage le fait que je décide de m’atteler au labeur avec une obligation de résultat. Il arrive parfois que je choisisse plutôt de rester allongé sous ce robinier dont l’ombre me protège exactement comme il convient, les pies jacassent, un tracteur ou un cycliste passe, éventuellement je salue de la main, un chat vient se faire caresser et s’allonge dans l’herbe ou sur mon ventre… cet après-midi peut-être… si la première phrase écrite en appelle une autre… sinon ce sera pour demain…
Travailler fatigue, disait Pavese. Vivre également, alors n’abusons pas. Expirons !
juin 2014