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Soit dit en passant

À reculons

13 Avril 2014 , Rédigé par JCD

Il y a des jours comme ça où l’on ne se sent aucune pétulance, même modeste, qui nous pousserait à commettre des actions insensées, voire contraires aux bonnes mœurs comme, par exemple, sourire très légèrement, de manière à peine visible à l’œil nu, au passage sur la route d’un convoi funéraire avançant à reculons. L’événement est d’autant plus inattendu que la départementale 16 ne conduit en aucun cas au cimetière, sauf bien sûr à celui d’une commune voisine et l’on ne voit pas très clairement l’intérêt qu’il y aurait pour ledit convoi à sortir de son itinéraire coutumier pour s’en aller flâner en territoire en quelque sorte étranger sous prétexte de printemps, d’oiseaux qui gazouillent dans les chênes encore nus ou en invoquant peut-être le fait que le mercredi est jour de congé pour certaines catégories de la population. Et à reculons ! je vous demande un peu.
Non, en vérité, ce matin je ne pétule guère. Peut-être est-ce dû au séisme de magnitude 5,3 sur l’escabeau de Richter qui nous a frappé voici deux jours, à vingt et une heures vingt-sept, ou vingt-huit selon les sources, alors que je me morfondais dans une indolence qu’on ne rencontre qu’occasionnellement — encore faut-il n’avoir rien de mieux à faire — dans la salle commune des maisons de retraite lorsque le téléviseur est allumé et que débordent bruyamment les gouttières sur les chaises-longues oubliées par le personnel qualifié dont il convient néanmoins de saluer l’exceptionnel dévouement, car c’est une corporation qu’il est imprudent de dénigrer lorsqu’on a soi-même dépassé la date de péremption.
Peu pétulant donc, mais je ne vois vraiment pas en quoi ce mini tremblement de terre, qui ferait ricaner n’importe quel Chilien post-pinochien encore en vie, devrait en être responsable. Je ne puis certes nier appartenir, sans aucun doute à mon corps défendant, à l’humble confrérie des I.P. (indécrottables pessimistes) mais nous avons nous aussi l’obligation de vivre, comme n’importe quel autre être humain et je vous assure que croiser à longueur de journées des cohortes d’O.O. (optimistes obligés) n’est pas sans perturber dangereusement notre métabolisme, ce qui justifie à mes yeux — il faudrait à ce propos que je fasse le nécessaire pour changer de lunettes — mon peu d’enthousiasme à l’idée de devoir un jour prochain quitter, même momentanément, mon abri, pour rencontrer par exemple un ophtalmologiste, forcément O.O. puisqu’ils le sont tous, ayant été formés à l’impeccable loi du marketing.
Mais mon statut d’I.P. n’explique pas tout. Le peu de considération dont je jouis — c’est un euphémisme, ou je n’y connais vraiment rien en la matière — auprès des éditeurs, tous associés dans une commune indifférence à l’égard de mes devoirs d’écriture, m’incita voici quelques temps à m’affubler d’un blog — tout un chacun à désormais son blog, je soupçonne mon charcutier d’avoir le sien — afin de pouvoir, grâce à ce biais en apparence innocent, infliger à quelques-uns des O.O. de ma connaissance l’inévitable communication de mes écrits hautement désopilants. Je n’ignore certes pas combien le destinataire d’un blog peut, tout à sa guise, non seulement refuser de lire ce qui lui est adressé mais aller jusqu’à faire dériver les émissions polluantes de l’importun vers la case indésirable, s’épargnant ainsi l’obligation de manifester son mépris à son égard, et donc au mien en l’occurrence. Car mes chers amis, ne disposant pas des circulaires prévues à cet effet par le secrétariat des maisons d’édition (circulaires nécessitant la mise sous enveloppe et l’affranchissement à soixante et un centimes d’euro en lettre verte), n’iront évidemment pas perdre un temps précieux afin de me faire savoir, en termes plus ou moins choisis, qu’ils ne souhaitent pas s’engager plus avant dans une relation qui les contraindrait à lire ce qu’ils n’ont nulle envie de lire, puisqu’il existe pour ce faire, et ce précisément dans la plus grande béatitude, des librairies et autres bibliothèques publiques où l’on peut, en toute liberté, choisir les ouvrages d’écrivains véritables, payés pour se livrer à cet exercice hautement culturel reconnu par le ministère de tutelle et le syndicat des fabricants de papier, et convenablement répertoriés dans les registres de la Société des gens de lettres. Voire possiblement honorés, congratulés lors de la remise d’un prix forcément littéraire puisque cela n’engage à rien et qu’il y en a presque autant que de postulants. Eux-mêmes possiblement pétulants.
J’admets volontiers — quoique ! — le caractère légèrement coercitif de l’envoi de textaillons au moyen de ce blog alors que le malheureux destinataire n’a nullement demandé à être distrait de ses activités plus ou moins rémunérantes et n’aspire, lorsqu’il regagne au terme d’une rude journée son foyer où mitonne sur la plaque à induction le contenu d’une boîte de raviolis, le malheureux disais-je n’aspire qu’à se détendre en parcourant l’almanach Vermot (toujours vivant depuis 1886) avant, peut-être, de s’instruire durant un court mais palpitant instant en compagnie de nos penseurs cathodiques commentant l’incontournable match de football ou le succès transcendant et vaguement musical mais fermement attendu du dernier crétin — ou de la dernière crétine — vraisemblablement à la mode. Il faut savoir participer, comme disait un célèbre baron raciste et misogyne, et prendre part à la fête puisqu’il convient aujourd’hui que tout soit festif et convivial. Or donc, n’étant que fort peu festif, j’admets, et je m’incline car la tâche était énorme, disproportionnée au regard du ridicule de l’objectif à atteindre (d’autant que le seul mot d’objectif déjà me répugne), et ô combien crasse mon incompétence en ce domaine où la performance technologique l’emporte haut-la-main sur l’utilité, discutable, du propos. Mieux vaut se taire lorsque le micro est indispensable pour se faire entendre.
Les humbles ont ce mot qui résonne comme un modèle de sagesse : Il faut savoir demeurer à sa place.

avril 2014

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C
J e préférerais VIP à IP Plus conforme à tes assertions :Véritable Indubitablement Pessimiste.<br /> Pour les festivités &quot;gueulantes&quot; le dernier Erovisionn'était pas piqué des hannetons vu que c'est un trav'lo qu'a remporter la timbale.et les Français les bons derniers alors qu'ils se font enc...er par Hollande tous les jours.
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