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Soit dit en passant

Un bon souvenir

27 Mars 2014 , Rédigé par JCD

Pour les pragmatiques inébranlables le seul fait de vieillir justifie la plupart des maux, au moins les plus physiques d’entre eux, dont nous avons à souffrir. Lorsque nous constatons, un peu amèrement il est vrai, que le corps humain auquel nous sommes attaché depuis déjà fort longtemps tend à se livrer à d’ignobles trahisons dont nous sommes évidemment le premier à subir les conséquences, il est alors plus que temps d’interroger l’homme de l’art dont c’est la vocation de veiller à la conservation et au rétablissement de la santé qui nous est particulièrement chère, la nôtre. Voilà sans doute pourquoi chaque docteur en médecine consulté ne manque jamais de nous asséner, avec un sourire de feinte complicité dont nous ne sommes évidemment pas dupe puisqu’il est, lui, scandaleusement bien portant, cette conclusion en forme d’explication : Oui, mais à votre âge… Il nous est alors quelque peu difficile d’afficher en retour une bonhomie un peu navrée qui soit, ne serait-ce que par courtoisie, égale à la sienne. L’homme, quelquefois, est affable, éventuellement compatissant mais il n’empêche qu’il nous a, probablement sans méchanceté aucune, sévèrement verglacé l’humeur, selon la jolie formule d’André Blanchard. Je reconnais certes que mon humeur courante n’est guère d’inspiration primesautière et qu’il n’est pas nécessaire de me promettre un monstrueux cancer généralisé pour que mes détestations les plus spontanées l’emportent sur l’amour que je devrais manifester, en temps normal et par ailleurs, à l’endroit de Scarlett Johansson. Ou à l’envers, pourquoi pas. Oui, mais à votre âge… répète l’autre. Dès lors, tout devient excusable, ceci explique cela et ne venez pas vous plaindre quand la mécanique vous lâchera, c’était inscrit dans le contrat. Sauf que moi, Monsieur, je n’avais rien demandé et que, peut-être, allez savoir, si des personnes indépendantes, des étrangers en quelque sorte, m’avaient informé de ce qui me pendait au nez, eh bien peut-être en effet que j’aurais préféré demeurer à jamais, ou plutôt temporairement, spermatozoïde et finir, ni vu ni connu, dans la tinette d’un petit appartement du onzième arrondissement. Oui oui, je sais, la joie des parents, et comme il est mignon ce joli petit garçon ! Et puis quand c’est parti il faut assumer et aller jusqu’au bout, eh bien c’est précisément ce qui fait problème, cet aller jusqu’au bout, parce que le bout il est moche, sans parler du fait que, à peine sorti j’étais déjà confronté à l’inexorable avancée de l’envahisseur teuton qui, venant tout juste d’enjamber la ligne Maginot, projetait de brûler Paris et l’école où il était prévu que j’irais apprendre à lire Proust et Céline avant que d’entreprendre l’écriture d’une œuvre immortelle qui me vaudrait de demeurer beaucoup plus notoirement méconnu que Vialatte – ce sont ses propres mots, le concernant, alors que, quand même, le plus méconnu des deux, hein, notoirement… Alors, à mon âge, comme vous dites, après ce qu’on m’en a fait voir, j’aurais bien aimé mourir de mort naturelle, comme on dit de ceux qui, un beau jour, s’endorment sans avoir été torturés en regardant Chantons sous la pluie en dvd. Et, à mon âge, je ne demande pas davantage, juste un peu de considération pour que je laisse un bon souvenir. Oui oui, je sais, dans mon cas ce sera difficile…

mars 2014

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